Vous entendez sûrement depuis plusieurs années parler de ludopédagogie, cette méthode d’apprentissage qui invite le jeu au cœur de son processus. Même si cette méthode est de plus en plus présente dans les systèmes d’apprentissages, elle rencontre encore de nombreux a prioris : « la ludopédagogie c’est infantilisant », « la ludopédagogie ce n’est pas sérieux », « le jeu c’est pour s’amuser, pas pour retenir », « pour faire une session de ludopédagogie il faut du temps », « pour créer un jeu il faut être créatif », « créer un jeu ça coûte cher ». Au cours des lignes suivantes, en définissant la méthode et toutes les nuances de la ludopédagogie et en expliquant l’impact de cette approche sur les apprenants, je vous invite à lever ces préjugés.
De même, je vous invite à vous questionner sur la posture induite par la ludopédagogie. Car contrairement à l’enseignement dit « expositoire » ou « traditionnel », axé sur la transmission organisée et descendante des connaissances aux apprenants, la ludopédagogie, elle, encourage les apprenants à découvrir l’apprentissage par l’expérience et à prendre conscience de leur progression (nouvelles connaissances, compétences développées) à l’aide d’un tiers, que peut-être l’enseignant. C’est ainsi que le système d’évaluation traditionnel uniforme, utilisant un type d’évaluation standard qui ne permet pas de prendre en compte la progression individuelle, est voué à évoluer et à se transformer. Aussi, s’imprégner de cette méthode d’apprentissage implique que l’enseignant soit ouvert au changement comportemental.
La ludopédagogie est une approche éducative et novatrice. Mais c’est avant tout une méthode liante entre trois concepts clé : le jeu, l’animation participative et la pédagogie. En associant le jeu pour créer un outil d’expérience et les techniques d’animations participatives pour favoriser un contexte propice à la proactivité, au service de la pédagogie, la ludopédagogie vise à favoriser l’apprentissage et le développement des connaissances et compétences des individus.
Si la ludopédagogie considère le jeu comme un espace privilégié où l’apprenant est actif, motivé, et libre de prendre des risques, en explorant différentes stratégies et devant faire face à des défis, elle le considère surtout comme un puissant levier d’apprentissage, qui suscite l’intérêt, stimule la curiosité et favorise l’expérimentation à travers l’expérience vécue.
Lorsque l’on vit une expérience, des connexions entre les neurones se modifient ce qui renforce les circuits cérébraux associés à cette expérience y compris les composantes émotionnelles. Ces circuits renforcés facilitent la récupération de l’information liée à cette expérience, transformant ainsi les souvenirs créés en une ressource précieuse, qui permet un accès et une utilisation ultérieure de ces connaissances, enrichies émotionnellement. Les souvenirs encapsulent les émotions et sensations vécues lors d’une expérience, ainsi, ils sont intimement liés à nos ressentis et à nos valeurs. Qui n’a aucun souvenir d’un moment où il a joué ? Que ce soit aux billes, aux jeux vidéo, aux devinettes, ou encore aux cartes ?.. Et qui n’a aucun souvenir de ce qu’il a ressenti ou vécu durant cet instant ? Du rire, de la frustration, de la détermination, du partage, de la compétition, du courage…
En mettant l’accent sur l’apprentissage expérientiel, cette méthode pédagogique utilise précisément le jeu pour créer des stimuli émotionnels renforçant les compétences des apprenants. Car le jeu est bien plus qu’un passe-temps. Il est un portail vers des expériences vives et mémorables, où l’on se plonge dans un univers parallèle qui éveille une diversité d’émotions. Que ce soit dans un jeu de société, en explorant un monde virtuel ou en participant à un jeu de rôle, chaque expérience de jeu offre un moment unique. Elle rend possibles l’expérimentation des rôles, le détachement des barrières sociales, ou des responsabilités et invite à se décentrer. En ce sens, le jeu nous offre une nouvelle perspective levant certains de nos biais. Bien sûr, pour que tout cela se produise il faudra offrir à vos apprenants un terrain propice à la projection, à l’imaginaire et ainsi prendre grand soin de l’aspect esthétique et narratif de votre jeu. Le rendre cohérent entre votre intention pédagogique et votre cible (enfant / adulte / niveau de langage etc.), c’est comprendre que l’expérience et le souvenir se transmettent à travers tous nos sens ! Je vous invite pour comprendre cela à tester un maximum de jeux.
En jouant vous réaliserez également que de nombreuses compétences peuvent être mobilisées, parfois bien au-delà de ce qu’indique la règle du jeu initiale. Ainsi, pour appliquer la ludopédagogie, il n’est pas impératif de créer un nouveau jeu, mais possible d’adapter un jeu existant pour le rendre efficace et aligné sur nos objectifs pédagogiques. Une exploration approfondie de la création ou de la déstructuration d’un jeu et du Game Design nécessiterait un article dédié. Mais il est important de retenir qu’il n’est pas essentiel de partir de zéro et d’inventer entièrement quelque chose de nouveau.
Bien sûr, pour faire de la ludopédagogie il ne suffit pas de jouer. Car l’intention de jouer sans exploiter pleinement les bénéfices d’apprentissage ne représente pas la méthode.
C’est pourquoi l’animation participative est aussi un concept clé de la ludopédagogie. Si contrairement aux enseignements traditionnels, elle encourage l’apprenant à jouer un rôle proactif dans son propre apprentissage, elle prévoit que ce processus soit encadré et accompagné. Si l’animateur est avant tout l’instaurateur du contexte (apport du cadre et du matériel, régisseur d’un lieu, gestionnaire du timing, veilleur de la bienveillance), son objectif est de créer un environnement d’apprentissage stimulant, motivant et collaboratif, outillé par la présence du jeu. L’apprenant peut venir motiver ou bien pas encore, et dans ce cas, l’environnement créé par l’animateur peut-être le facteur de motivation premier, qui invite l’apprenant à prendre parti à la séquence et à s’engager. L’animateur veillera à ce que tous les participants adoptent un rôle proactif permettant la participation de chacun et cherchera à valoriser la responsabilité collective. En effet, la ludopédagogie fait appel à l’intelligence collective, c’est-à-dire la capacité d’un groupe à collaborer et à mutualiser ses compétences et idées pour prendre les meilleures décisions. Rappelons que faire du participatif, c’est aussi s’adresser à tout public. C’est pourquoi en ludopédagogie il est intéressant de faire avec voir de faire faire et de co-construire avec l’apprenant. Ainsi, en faisant preuve d’adaptation, de créativité, en rendant la participation de chacun nécessaire et en simplifiant le cadre pour que l’expérience soit perçue comme fluide et plaisante (par exemple : explication concise des règles du jeu par l’animateur), l’animateur et l’atmosphère vont être un levier motivationnel pour l’apprenant. La motivation est un facteur clé dans le processus d’apprentissage permettant de renforcer l’attention, la persistance, l’effort et la qualité de la participation d’un apprenant. C’est pourquoi la méthode de ludopédagogie vise à la stimuler pour rendre les apprenants plus engagés, et favoriser leurs apprentissages. Lorsqu’un apprenant est motivé, il est plus enclin à participer activement, à chercher à comprendre, à résoudre des problèmes et à persévérer face aux difficultés. Cela peut conduire à une meilleure rétention des informations et à une compréhension plus approfondie des sujets étudiés.
Et c’est ici qu’intervient le deuxième enjeu pour l’animateur : le debrief. C’est l’instant de pause et d’échange qui peut intervenir pendant ou après le jeu et qui peut être outillé (test d’auto-positionnement, objet matérialisant la progression, questionnaire ouvert, etc.). Car le jeu n’est pas auto-suffisant. Nous n’apprenons pas en jouant, mais en parlant de notre condition de joueur.
Cet échange est donc d’abord nécessaire pour créer des liens sémantiques entre les actions menées durant le jeu, les acquis pratiques et les concepts de l’enseignement ou de la formation. Pour apprendre en jouant, il faut qu’il y ait une discussion pour permettre aux apprenants de comprendre comment ce qu’ils ont fait pendant le jeu est lié aux idées qu’ils doivent apprendre, donc amener l’apprenant à prendre du recul sur ce qu’il vient de vivre.
C’est ensuite une phase visant à développer la pensée réflexive chez l’apprenant lui permettant de conscientiser ses apprentissages. Le pouvoir de la réflexivité se pose ici comme un élément essentiel de la méthode. Il s’agit d’une force motrice qui nourrit l’apprentissage en profondeur et transforme l’expérience ludique en une occasion d’appréhender, de décrire et de mentaliser les compétences acquises ou développées. C’est le moment où l’animateur encourage les apprenants à prendre le temps de réfléchir sur leurs stratégies, leurs émotions, leurs réactions face aux défis et à leurs prises de décision. Une invitation à examiner les actions et les interactions pendant le jeu, afin que chacun en tire des enseignements sur soi-même et sur les autres dans un contexte défini. C’est le principe appliqué de la théorie du socio-constructivisme. Pour les socio-constructivistes, « apprendre, c’est échanger du sens dans des rapports sociaux. L’apprentissage ne se fait pas seulement dans une relation entre un sujet et un objet, mais il est de nature sociale. On introduit, auprès du sujet et de l’objet, un tiers qui va favoriser l’appropriation des nouvelles connaissances ». En engageant la réflexivité, l’apprenant questionne ses propres schémas de pensée. La réflexivité favorise également l’apprentissage métacognitif, c’est-à-dire la connaissance et la compréhension de nos propres processus cognitifs. Ainsi, en s’observant en train de jouer, chacun prend conscience de ses forces et faiblesses, mais aussi de ses préférences d’apprentissages. L’apprenant apprend à mieux se connaître et à définir ses propres progressions. C’est en cela que la ludopédagogie permet de se pencher de manière plus individualisée sur les évolutions. On pourrait alors questionner les outils de simulations (ex : simulateurs de courses pour les pilotes) : font-ils partie de la ludopédagogie puisqu’en soit la session peut se dérouler sans animateur. Pour répondre à ceci, j’introduirai les réflexions de Brigitte Denis (docteur en sciences de l’éducation, qui travaille depuis 1982 sur les liens entre apprentissage et nouvelles technologies). Comme elle l’explique l’idée reste la suivante : Apprendre par soi-même n’est pas apprendre seul. Elle explique que « bien qu’avec les bons prérequis et les bonnes méthodes certains sont capables d’apprendre de nouvelles compétences seuls, hors cadre […] être autodidacte ce n’est pas nécessairement être seul dans son apprentissage : se prendre soi-même en charge, c’est aussi savoir se faire accompagner. Que ce soit par des conseils ponctuels, un tutorat, des travaux de groupes, des moments d’échange… ». Elle ajoute ces divers échanges sont « utiles à toutes les étapes du processus d’apprentissage. »
De plus, la réflexivité facilite la communication et la collaboration au sein des groupes de jeu. En partageant nos réflexions avec les autres participants, nous créons un espace d’échange et de co-construction des connaissances. Nous apprenons les uns des autres, nous échangeons des idées, des points de vue différents et mutualisons des stratégies, ce qui enrichit notre expérience collective et individuelle. En somme, le pouvoir de la réflexivité au sein de la ludopédagogie transcende le simple fait de jouer. Il transforme le jeu en une expérience profonde et réflexive qui devient un catalyseur puissant pour l’apprentissage. Bien entendu, pour garantir l’efficacité de cette approche, l’animateur doit adopter une posture de médiateur et non d’enseignant. S’il est perçu comme l’enseignant le biais d’autorité risquerait de dénaturer l’expérience ludique, donc l’expérience de jeu pour les apprenants en les ramenant dans un contexte pédagogique. Cela contrecarrerait l’objectif de décentrage. Ainsi, il est essentiel de donner aux apprenants un « objectif jeu » distinct de l’objectif pédagogique réservé aux intentions de l’animateur.
Cet objectif pédagogique est ce qu’il me reste à aborder ici. Vous l’aurez compris, si la ludopédagogie induit l’utilisation du jeu en lien avec les techniques d’animations participatives, ces éléments œuvrent tous deux au service de la pédagogie. Sans objectifs pédagogiques, il n’y a pas la volonté de développer l’apprentissage et donc ce n’est plus intrinsèquement de la ludopédagogie.
Ainsi, lorsque vous souhaitez concevoir une session de ludopédagogie, la question primordiale réside dans l’objectif pédagogique. Cela vous permettra alors de répondre au « pour quoi » et ainsi de justifier et légitimer votre choix de jeu et l’utilisation de vos techniques d’animations participatives. Il s’agit de répondre aux questions suivantes : « Qu’attendez-vous des apprenants ? Quelles sont vos prévisions quant à ce qu’ils retiendront ? ». Ces interrogations fondamentales serviront de base à votre session de ludopédagogie. Le choix du jeu ou des techniques d’animation participatives deviendront alors l’ornement de votre session, visant à garantir la réussite de l’atteinte de vos objectifs pédagogiques.
C’est pourquoi s’il est important que les participants viennent avec un « objectif jeu » pour être projetés dans le « pas de côté », il est essentiel que l’animateur viennent avec un ou des objectifs pédagogiques et l’intention d’apprentissage pour les participants. Ces réflexions visent à éviter de tomber dans le piège de la gamificiation qui n’induit pas la pédagogie. En effet, La « ludification » ou « gamification » en anglais utilise des mécanismes et leviers empruntés aux jeux dans un contexte qui en est dépourvu à l’origine et concernant des sujets divers : ex : politique, marketing… Cela peut rendre un sujet attrayant mais n’en fait pas pour autant ni un jeu, ni une session d’apprentissage.
Tout comme l’animation participative à elle seule ne suffit pas à faire de la ludopédagogie. Si un enseignant créé un quiz interactif (comme un Kahoot) pour vérifier les acquis, par exemple, bien que l’aspect ludique et la participation active soient présents, ils ne permettent pas à l’apprenant de se décentrer complètement et de recourir à une mission dépourvue de l’enjeu pédagogique qu’offrirait l’utilisation du jeu.
Ainsi, la ludopédagogie répond bien aux enjeux de la ludicisation. C’est-à-dire à l’intégration du jeu à des situations d’apprentissage afin de prendre en compte la notion de plaisir chez l’apprenant, et par là même, de développer les facteurs de motivation humaines simulés par le jeu pour influencer la qualité de ces apprentissages.
Vous comprenez désormais l’importance de l’alliance de ces trois concepts clé : le jeu, l’animation participative et la pédagogie pour parler de ludopédagogie. Ainsi, dès que l’une de ces composantes est absente, on considère qu’on ne se situe plus dans le champ de la ludopédagogie. Car c’est bien en combinant le jeu comme instrument d’expérience, les techniques d’animations participatives pour encourager un environnement de proactivité, et la pédagogie pour définir des objectifs, que la ludopédagogie se profile comme un véritable catalyseur d’apprentissage favorisant l’engagement actif des apprenants.
Finalement faire de la ludopédagogie, c’est accepter l’idée essentielle qu’il est possible de faire du sérieux sans se prendre au sérieux !
Si cet article vous a donné envie d’explorer la ludopédagogie, ou d’intégrer cette méthode dans vos pratiques, nous vous invitons à nous rejoindre à LABOITA. Dans ce tiers lieu vous aurez l’opportunité de découvrir, d’expérimenter ou de concevoir vos propres jeux sur une gamme étendue de sujet.
Si vous souhaitez découvrir un exemple de jeu et de session de ludopédagogie proposé par LABOITA vous pouvez vous dirigez vers cet article et découvrir comment le personnage de GumGum (une statue de l’île de Pâques), quelques gnous et une jungle, vous permettent d’explorer les différentes formes que peut prendre la reconnaissance.
LABOITA vous offre aussi divers espaces et vous transporte dans l’univers du jeu sous toutes ses formes qu’il soit numérique ou sur plateau. Alors en autonomie ou avec l’accompagnement de l’un de nos collaborateurs, pour vous former la ludopédagogie et aux techniques d’animations participatives, à nos côtés ou pour passer une tête et voir ce qu’il se passe, vous êtes les bienvenus.